Erasme a écrit en latin,à Venise, trois mille Adages savoureux sous le titre de « Chiliades Adagiorum ». Les publications s’étalent entre l’édition de Bâle de 1515 (B) et les éditions C (1517/1518), D (1520) et E (1523), avec des ajouts comme Montaigne le faisait dans ses Essais.
Hans Holbein, portrait d’Erasme.
Sous l’égide de Jean-Christophe Saladin, nous sommes une bonne trentaine de traducteurs en collégialité, des « Adagiomanes », ou « Adagiophiles ». Une belle expérience, un texte savant et drôle à la fois, dans l’esprit brillant de la Renaissance, une mine d’or de références sur des textes classiques de la littérature grecque et latine, Plutarque, Cicéron, Martial, Plaute, Aristophane… mais aussi des découverters étonnantes sur des auteurs mineurs aux noms évocateurs, des textes inconnus, des fragments de Timée de Taormine, des écrits d’Eustathe de Thessalonique, d’Etienne de Byzance, ou encore de Grégoire de Naziance…
On retrouve sous la plume d’Erasme la matière des fables,non seulement celles d’Esope ou de Phèdre qu’il cite , mais celles à venir de La Fontaine : lions, rats, poissons torpilles, mouches, thons défilent dans une revue naturaliste et moraliste, à la fois crue et raffinée, un pur bonheur !
Pour vous donner une idée de cette oeuvre encore inédite, mais à paraître bientôt aux Belles Lettres, voici le texte latin d’un adage de la centurie que j’ai traduite, 2401-2500, dont le texte initial s’intitule » Le rire sardonique ».
On savait déjà « qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours … », mais dans l’adage qui suit , le proverbe nous dit : » fumantem nasum ursi tentaveris » , il ne faut pas titiller l’ours aux narine fumantes, en quelque sorte, il ne faut pas chercher la bagarre , ou la cogne, ou les poux …
III, V, 2467
Fumantem nasum ursi ne tentaveris
Proverbii speciem habet et illud apud Martialem* :
Rabido nec perditus ore
Fumantem nasum vivi tentaveris ursi.
Sit placidus licet et lambat digitoque manusque,
Si dolor et bilis, si justa coegerit ira,
Ursus erit, vacua dentes in pelle fatiges.
Admonet non esse tentandos, qui possint nocere. Consimili modo Synesius mordacem et nociturum ; hac parte corporis icta potissimum ursos iritari docent bestiarii. ERASME.
* traduction de la référence à Martial :
« Et ne va pas, dans un accès de rage, l’écume aux lèvres,
Toucher les narines fumantes d’un ours bien vivant.
Qu’il soit tranquille et lèche les doigts et les mains,
Si la douleur, la bile ou une juste colère l’emportent,
Ours il sera. Émousse tes dents sur une peau vide. »
Martial, Epigrammes VI.64.27-31 , traduction Geneviève Moreau-Bucherie.