Intéressée par la culture grecque depuis que je suis gamine, fascinée et convaincue, c’est d’abord dans les livres que je suis tombée dedans: lecture d’Homère, en français bien sûr, dans l’incontournable collection de ma génération : Contes et légendes de la Grèce antique …puis l’apprentissage de ce grec très ancien au parfum des pages glacées de mon livre d’histoire, impressionnant dictionnaire Bailly à manipuler debout, images des dieux, statues très blanches aux yeux vides…et surtout les caractères grecs eux-mêmes parce qu’ils me faisaient penser à un code secret, déchiffré par les seuls initiés !
Des escales à l’aéroport d’Athènes sur le trajet de Tananarive – Paris-Orly, pendant 10 ans, j’avais entre 5 et 15 ans, Tananarive où j’ai appris le grec ancien au lycée français, jamais sortie de l’aéroport …Et puis le choc ! la découverte en 1996, puis en 2008 du vrai pays, de sa vraie couleur, de son odeur… J’y suis retournée l’été suivant, mes étés grecs à moi, et encore à Pâques jusqu’au Magne, et en 2011 dans les Cyclades… Chacun doit avoir une terre d’accueil, s’il est citoyen du monde, moi c’est la Grèce, la Grèce moderne, ses cafés frappés, ses baquets de fleurs, ses chats roux d’Athènes…
Alors je me suis mise à apprendre sa langue moderne, remise à lire, romans et poésie, et ma petite bibliothèque grecque va finir par concurrencer l’antique, et mes Guillaume Budé …Chez moi, un parfum de Grèce qui émane de toutes ces pages !
Et puis, pour mon plus grand bonheur, Mes libraires préférés des « Saisons » Rue St Nicolas, juste à côté de chez moi, m’ont proposé de lire et commenter pour leur site les romans grecs fraîchement traduits ! l’aventure continue donc avec des petites notes grecques pour des éditeurs qui passent faire un tour sur ce blog.
Voir le site de la Librairie sur ce lien : http://www.lessaisons.fr/
« Lune amère » de Photini Xanthopoulou, trad Anne-laure Brisac, éd L’Eclose 2005.
Un roman amer et beau …
« Dans un petit village du nord de la Grèce, sur fond d’occupation allemande, de guerre civile, Périclis et Anggeliki connaissent une enfance amère. La pauvreté. le travail aux champs de tabac, la violence et le décès des parents en font des enfants de fer… Mariés jeunes, ils rejoignent la ville avec l’espoir de construire une vie moins difficile. La misère les rattrapera par la perte d’un enfant, petit garçon chéri disparu, que remplacera bientôt « l’élue de la lune », une fille… Née pour remplacer le frère mort, Phani recueillera la haine d’une mère meurtrie et de toute une famille… Ce livre raconte ces vies pauvres, sans tendresse, avec la survie pour seul enjeu. » C’est le Lundi saint. Les quelques meubles que nous possédons nous laissent juste assez de place, à ma mère, mes deux sœurs et moi, dans la carriole. Nous quittons pour toujours notre jolie maison de deux étages sur la place du village – le village de ma mère où nous avons vécu quelques années de notre enfance – pour nous installer dans celui de mon père, là où nous sommes nées toutes les trois. Le voyage va durer assez longtemps, car les ânes n’avancent pas vite, même s’ils sont en forme et bien nourris. Un bon coup d’aiguillon et nous voilà partis. Le soleil se montre à peine et je crois bien que je suis la seule à être émue par le spectacle splendide qu’offrent les nuages pleins de couleurs. Pour les autres, ce n’est que le moment du départ, vers les champs, vers l’inconnu, vers n’importe où. » ( page de couverture de l’édition)
« La mort en habits de fête » de Zyrànna ZATELI, trad Michel Volkovitch, éd Roman SEUIL, 2007.
Réaliste et magique, fascinant roman noir
« Quelques mois avant d’être foudroyé par l’orage, un garçon de douze ans est initié par un mystérieux étranger à la magie macédonienne des coïncidences, des illuminations, des parentés imprévues et du triomphe mystique des toupies.
Le cimetière est son école et sa mère, qui y repose, lui enseigne les secrets des ténèbres. Anastàsis est ce voyageur énigmatique, de retour au pays natal après bien des années d’absence. Son enfance fut peuplée d’étranges présages. Anastàsis aux yeux gris, aux cheveux fauves sculpte dans le bois toupies et baguettes. Le récit se déploie en spirale autour de sa figure solaire, ressuscitée à l’ombre de la forge paternelle.
Redonne-t-il vie à la folie des mères, au vol des oies sauvages, à la conjuration des esprits ? A profusion se nouent récits et croyances paysannes locales. L’histoire est peuplée d’enfants, pas encore nés ou déjà morts, ou vivants ; de tous âges, douze-treize ans surtout, l’âge où l’enfance est près de mourir. Les animaux sont très présents aussi. Brumes, pluies diluviennes, tempêtes, orages, raz de marée, les éléments se déchaînent sans cesse – et ils tuent.
Car l’homme ici est peu de chose, jouet des phénomènes naturels, faible flamme vite soufflée par la mort. Le titre nous l’annonce : c’est elle, la Mort, le héros du livre. Superbe en ses habits triomphaux, traînant ses innombrables victimes. »(Note de l’éditeur)
Voir sur ce lien : Zyrana Zatéli

« Le Peintre et le pirate », de Costas Hadziaryris.
Còstas Hadziaryìris, linotypiste est l’auteur de six romans.
Macabre et réjouissant.
Le Peintre et le Pirate, achevé vers 1950 et publié à compte d’auteur avant d’être repris en 1963 (l’année de sa mort, à l’âge de cinquante ans) par la mythique librairie Hestia est réédité en France en 2014, avec la traduction de Sophie Goldet et Michel Volkovitch.
C’est l’un des livres les plus étranges de la littérature grecque. Une parodie philosophico-burlesque de roman d’aventures, et un chant du cygne aussi : après lui, découragé, Hadziaryìris cessera peu à peu d’écrire. « Nous nous sommes fiés à notre imagination, mais la malheureuse, elle aussi, est maintenant soumise à rude épreuve. Car elle est épuisée notre héroïque patience, celle qui nous faisait écrire, sachant que nos lecteurs payants ne seraient pas plus de deux… », lit-on à la dernière page du roman pour combler l’amertume de ne pas donner au lecteur une fin attendue à son récit.
Le romancier nous embarque avec le personnage du peintre, candide et honnête homme, aux côtés de redoutables pirates, taillant au sabre l’ennemi et récitant des prières en latin, capables d ’émotion et de larmes devant un tableau ou un médecin cul-de-jatte ! Le peintre et le pirate Costandis, si radicalement différents l’un de l’autre, se lient d’amitié fusionnelle, au point de finir par inverser les rôles dans des situations abracadabrantes, grotesques et absurdes.
Epopée en Méditerranée, délire religieux en Angleterre, comédie humaine dans une Grèce digne de Pagnol, dans un XVIII° siècle dominé par les turcs, tout cela raconté avec des accents voltairiens, ironie, désillusion, et le mot de la fin résonne curieusement dans un monde perturbé et sans jardin à cultiver : « Les autres vécurent comme avant, avec une différence : ils croyaient que les choses avaient changé, qu’ils ne vivaient plus comme avant . Seuls quelques uns n’étaient pas d’accord, mais jamais on les écouta. » Geneviève Moreau-Bucherie , pour la librairie « Les saisons ».
« La Ballade d’Ali Baba » de Catherine Mavrikakis.

Baroque, sombre et lumineux.
Un souffle parcourt ce roman sillonné des routes empruntées par le père grec de Rhodes et la fille vivant à Montréal, en quête l’un de l’autre, dans l’espace arpenté, perdu et retrouvé, dans la vie et la mort.
L’écriture baroque drôlatique et sombre, nous offre un scénario étonnant, puisque dans le kaléidoscope de sa construction, il dessine une succession de cercles concentriques alternés autour du cœur du roman, où la narratrice évoque Dante, en retrouvant son père mort un an plus tôt dans les rues glaciales de Montréal : ainsi le cercle de l’année 2013 à Montréal concerne en trois chapitres l’histoire du père retrouvé dont elle dispersera à sa demande les cendres trop à l’étroit dans un tombeau.
Un autre cercle, celui du départ en 1939, de ce père enfant avec sa mère et ses frères et sœurs plus petits, de Rhodes à Alger, évoque en deux chapitres l’immigration forcée de cette famille grecque, et le départ d’Alger vers l’Amérique à la fin des années 50 de ce père alors jeune homme qui rêve d’être américain.
Enfin le troisième cercle qui ouvre et ferme le roman, est celui d’une échappée en Buick turquoise de ce père fraîchement divorcé en 1968, avec ses trois filles, le temps de les emmener à vive allure de Montréal à Key Ouest pour voir la mer , road movie que la narratrice opère à nouveau, mais seule dans sa vieille jeep jaune au tout dernier chapitre, avec l’urne des cendres de son père dans le sac rouge sur le siège avant, cendres qu’elle dispersera sur l’océan à Key Ouest ! La boucle est bouclée, et l’homme tant aimé, cosmopolite, fantasque, en errance perpétuelle, disparaîtra alors dans la nuit. Geneviève Moreau-Bucherie, pour la librairie Les Saisons ( décembre 2014)
Marguerite Libéraki : « Trois étés », nrf, Gallimard. (1950)
L’amour, la recherche de l’amour, le désir de l’amour…
Trois étés dans la lumière éclatante de l’Attique, trois jeunes filles en fleur, trois sœurs, Maria, Înphanta et Katerina. Maria ? L’aînée, vigoureuse, sensuelle, très proche des réalités de la nature ; Inphanta, ardente mais froide, toujours réticente devant l’amour ; Katerina qui a soif d’indépendance et qui choisit l’évasion dans le rêve ; pour elle c’est le mythe qui devient réalité. Mythiques la mystérieuse grand-mère polonaise et le capitaine Andréas. Katerina raconte ces trois étés avec fantaisie, humour et une immense tendresse, une grâce juvénile qui a déjà un ton de nostalgie. Chaque minute est vécue avec une extrême intensité, et reflète toute la perplexité du mystère féminin. ( Note de l’éditeur)
Lors de la parution de Trois étés, Albert Camus a écrit : « le soleil a disparu des livres d’aujourd’hui. C’est pourquoi ils font mal au lieu d’aider à vivre ; mais le secret se conserve encore dans vos pays, il se transmet d’initié en initié ; il servira encore, quand la nuit finira. Vous êtes de celles et de ceux qui le transmettent. Je me sens une complicité avec ce livre. »
Yannis Rítsos (1909-1990) : Temps pierreux, Makronissiotiques
Une expérience amère à Makronissos
Traduit du grec par Pascal Neveu (Ypsilon Éditeur)
Traduit dans le monde entier et amplement en France, le poète grec Yannis Rítsos (1909-1990) est devenu une légende, annoncée dès 1957 par un article fameux d’Aragon, Pour saluer Ritsos, dans Les Lettres françaises. Mais n’oublions pas que la légende de l’auteur de La Sonate au clair de lune(1956) a la couleur noire d’une tragédie qui ne se situe pas au temps des Atrides, mais de la Résistance, de la guerre civile, des déchirements de la guerre froide et de la dictature des colonels. Ce fils d’une famille patricienne, de petite noblesse, peu à peu ruinée, fut très tôt orphelin, astreint à plusieurs séjours dans des sanatoriums, mais rebelle invétéré malgré la cruauté du sort, haute figure d’un communisme qui dans son pays valait dès le début des années cinquante la répression la plus féroce et la déportation dans des camps.
De cette expérience, sans doute la plus cruciale et la plus amère, vécue par le poète, on ne connaissait pratiquement rien des poèmes écrits dans ces conditions d’un enfer tour à tour torride et glacé où les détenus, s’ils voulaient obtenir leur libération, étaient contraints de signer un acte de repentance. Yannis Ritsos a été relégué et interné à plusieurs reprises, d’abord à Makronissos, un îlot désert des Cyclades, et par la suite à Aghios Efstratios, en Égée du nord. ( Note de l’éditeur)
Yorgos Ioànnou : « Le Sarcophage » in Douleur du Vendredi saint, Climats. Traduit du grec par M. Volkovitch et Michelle Barbe.
Une autobiographie à peine transposée.
Yòrgos Ioànnou n’ayant jamais écrit que sur lui-même, de façon souvent très allusive, quelques indications sur sa vie ne feront pas de mal au lecteur. Ioànnou naît à Thessalonique en 1927 de parents réfugiés, chassés de Turquie un peu plus tôt. Le père est cheminot, le fils devient professeur de lettres classiques. Il exerce un peu partout en province, et même en Libye pendant deux ans — son seul voyage hors de Grèce. Il publie deux minces recueils de poèmes et un de prose. En 1971, à quarante-quatre ans, quand paraît Lesarcophage, il est encore pratiquement inconnu.
Le sarcophage est l’histoire d’un couple. Elle, c’est Thessalonique, ville d’enfance et d’adolescence, mère détestée autant qu’aimée. Lui, c’est l’auteur lui-même. Ces 29 textes brefs forment une autobiographie à peine transposée. Ioànnou n’invente pas ses histoires : on n’écrit bien, dit-il, que sur ce qu’on a soi-même vécu. Plutôt que des nouvelles, ces textes sont des « proses », comme il les appelle, à mi-chemin entre l’autobiographie, la fiction et l’essai. Ajoutons-y la chronique : Ioànnou ne cesse d’entrelacer drames personnels et collectifs. Le charme et la force de ce livre, et des suivants, viennent en partie de là, de cet équilibre entre le je et le nous. En fait, mine de rien, par petites touches, brefs coups de projecteur, c’est l’âme grecque tout entière que capte Ioànnou. Tout est là, senti, vécu : l’héritage antique, la religion byzantine, les traditions populaires — la « Grèce éternelle », encore vivante alors, survivante aujourd’hui. Il fallait, pour la rejoindre ainsi, un homme à la fois savant et simple, commeIoànnou ; un homme que sa culture a mené vers ses racines lointaines sans l’éloigner de ses origines populaires, non moins précieuses pour lui. ( Note de l’éditeur)
« Film noir », de Dimitris Stefanakis.
Noir Brillant!
La vie de Basil Zaharoff, marchand de canons et amoureux, est un roman : Stefanakis l’a écrit…
Stefanakis construit alors un récit brillant, jonglant avec les personnages qui rebondissent d’une époque à l’autre comme dans un scénario de film noir. On y côtoie des figures pitoyables ou pittoresques, idéalistes ou corrompues, policiers, anarchistes, espions, ministres, rois, réels ou inventés. Un roman allègre rongé par la certitude de la catastrophe passée comme par la crainte de celle qui vient. Alain Nicolas – L’Humanité du 28 février 2013

« Gioconda » de Nikos Kokantzis.
Une histoire d’amour et de sensualité
« Gioconda, c’est l’histoire de deux enfants qui s’aiment. Le récit lumineux d’une initiation amoureuse, vibrant de naturel et de sensualité, malgré la haine et la mort. Un conte tragique et fulgurant. Et, contre toute attente, le plus bel hommage à la vie que l’on puisse imaginer. » Antoine Pamiers, Télérama
« Avec pudeur, sensualité, l’auteur dévoile le trouble des esprits, la passion naissante, la fraîcheur de ces deux êtres qui apprennent à s’aimer… L’histoire attachante de cette initiation amoureuse pourrait parler à des adolescents en manque de mots ou de réflexion sur eux-mêmes. » Anne Levy, Lecture jeunes
» C’est ce balancement entre l’éblouissement amoureux et le sombre pressentiment de sa fin qui structure ce récit, l’un et l’autre s’éclairant en un halo lumineux et lugubre. Au fond, l’histoire est » simple » : Nikos, un adolescent, et Gioconda, une jeune fille juive, s’aiment d’un » amour total » jusqu’à la déportation de celle-ci à Auschwitz, en 1943 ; le texte de Kokantzis est délibérément traité avec la naïveté et la fraîcheur d’une passion juvénile. Ses phrases, courtes et pudiques, sont chargées d’une poésie que la traduction restitue intacte. » Florence Noiville, Le Monde
« Les enfants du Pirée » de Kostas Moursélas.
Un nouveau Zorba.
On se souvient de Zorba le grec, héros du roman de Kazantzakis incarné au cinéma par Anthony Quinn. Kostas Moursélas le réinvente littéralement dans « Les Enfants du Pirée », sous les traits de Louïs, « Belmondo en plus petit avec les yeux bleus », un faiseur de miracles et de catastrophes, autour duquel gravite une constellation de personnages, une soixantaine d’ hommes et de femmes, fresque sociale vivante dans la Grèce de l’après-guerre : Agissilaos, le prolo de la bande, Antigone la sœur de Louïs, Drakopoulos le fabricant de sauces, Sofia, la chanteuse originaire de Trikala, Tatiana dite la Madone, Tassos le cafetier du quartier, .… et bien sûr Manolopoulos le narrateur de leur histoire à tous .
40 ans d’histoire politique désastreuse défilent, et sur cette toile de fond s’écrivent en deux parties, l’enchantement puis la désillusion d’une bande de copains aux destins fourvoyés Roman picaresque et satirique, tendre et féroce écrit avec une verve décoiffante dans une écriture très contemporaine. Kostas Moursélas est né en 1932. Il écrit aussi pour le théâtre et le cinéma. Son écriture romanesque est donc fortement inspirée par le théâtre dans un style direct très enlevé, ironique, et satirique. Ce roman, est paru il y a une vingtaine d’années en Grèce, et a connu un très grand succès en librairie, avec plus de 200 000 exemplaires vendus. Il a été traduit en français pour les Editions Cambourakis en 2012, et l’auteur vient d’en achever ce qui sera la suite. Geneviève Moreau-Bucherie, pour la librairie Les Saisons.
Maria Efstathiadi : « Presque un mélo », Actes sud.
Un téléphone et un choeur.
C’est l’histoire d’un amour fou et aveugle, qui tourne à la dépendance par l’entremise d’un combiné téléphonique. C’est l’histoire d’une femme jeune et jolie qui perd pied, obnubilée par une relation étrange et dérangeante. Le récit de cette aventure intime est paradoxalement assumé par une voix collective, comme si cette liaison scandaleuse devenait le point de mire de tout le choeur, pour ce qu’elle révèle de solitude, de besoin d’amour et de sentiment d’abandon de chacun. (Note de l’éditeur)
« Le va-nu-pieds des nuages » de Takis Théodoropoulos.
Dense, riche, érudit et décapant.
Takis Théodoropoulos est né à Athènes en 1954. Ses romans et pièces de théâtre sont nourris d’une solide culture antique (Les Sept chats d’Athènes, L’Invention de la Vénus de Milo…). Ce roman est le dernier traduit en français, par Gilles Decorvet.
Quel étonnant personnage que ce « Démon » de Socrate descendu du ciel sur ordre express des Dieux pour punir les Athéniens de leur prétention bavarde, même si, il faut le reconnaître, ils ont inventé la langue grecque !
Et voilà qu’il profite de la révélation du plan divin, pour souffler à l’oreille de « l’Ecrivain », la matière de son livre, et lui raconter la véritable histoire de la création des Nuées par Aristophane, grand poète comique qui met en scène un certain Socrate en grotesque, alors inconnu de tous . Car le va-nu pied des nuages n’est autre que le philosophe en question et ses obscurs raisonnements démontés sur la scène devront rendre muets les Athéniens !
Son invisibilité permet au Démon l’accès aux pensées des personnages et de tisser avec ironie et drôlerie le fil rouge qui les réunit, trame de la grande Comédie humaine qui touche au drame, voire à la tragédie, et garantit au roman de Théodoropoulos sa dimension théâtrale ! Geneviève Moreau-Bucherie , pour la librairie Les Saisons.
Zyrànna Zatèli: » le Vent d’Anatolie », Quidam Editeur
Un petit bijou, entre innocence et cruauté.
Une étonnante histoire, qui commence par un fantôme, celui d’une jeune fille Moskhoùla qui signale malgré elle à la narratrice, une enfant tout aussi singulière, « une cour solitaire où les narcisses mauves et les coquelicots ne laissaient qu’un étroit passage vers une maison » , celle de la Vieille Anatolie. C’est alors qu’elle la découvre enveloppée « d’un brouillard en poussière d’or, de particules microscopiques dorées, suspendues, immobiles ». Elle est fascinée par son visage sans expression « à cela près que ses yeux étaient troublants : enfoncés, fendus, très humides, parfaitement sombres, ils luisaient comme un marécage, comme une boue d’un vert noir sous les rayons du soleil ou de la lune. Parler d’yeux de singe, de loup, de brebis égorgée, tout cela ensemble, n’est sans doute pas exact ».
La fascination présente dans beaucoup de romans grecs contemporains, chargée de mythes et intimement liée à la mort, émane de ce petit livre, entre innocence et cruauté. Geneviève Moreau-Bucherie, pour la librairie Les Saisons.
Voir sur ce lien : Zyrana Zatéli
« Les Chérubins de la moquette », d’Eléni Yannakaki.
Une confessions tendre et cynique
Eléni Yannakaki est née à Réthymnon (Crète) en 1955. Elle vit en Angleterre et enseigne la littérature grecque à l’université d’Oxford.Les Chérubins de la moquette, son deuxième roman, a connu un grand succès public et critique en Grèce, où l’auteur a reçu en 2002 le prix du premier roman décerné par le magazine Diavazo.
A quoi rêvent les petites filles, en Grèce comme ailleurs ? Au grand amour, à un beau mariage, à de nombreux enfants en bonne santé, à une vie aisée… Mais comment vont les femmes qui ont réalisé leurs rêves de petites filles ?Maria approche de la fatidique quarantaine. C’est en apparence une personne épanouie, épouse d’architecte et mère de trois enfants, qui règne sur un intérieur cossu symbolisant leur réussite sociale. Un vrai rêve de petite fille. Ce matin-là, c’est pourtant un cauchemar qui a réveillé Maria, mais rien à voir avec la journée qui l’attend, une journée comme les autres, rythmée par les tâches ménagères, les devoirs maternels et les obligations conjugales dont elle s’acquitte avec un soin obsessionnel qui confine à la névrose. Rien à voir non plus avec le décès de son amant, survenu pile un an plus tôt…Portrait total d’une femme ordinaire censément heureuse, Les Chérubins de la moquette démonte avec une implacable lucidité les mécanismes de l’autosuggestion et de la survie mentale. Entre cynisme et tendresse, Eléni Yannakaki mène une véritable enquête psychologique, de confession en révélation, jusque dans les zones les plus stupéfiantes du subconscient. (Note de l’éditeur)
« Le beau capitaine » de Mènis Koumandarèas.
Un roman de cendres.
« Pourquoi la hiérarchie militaire s’acharne-t-elle à refuser son avancement à ce jeune officier réduit à déposer plusieurs requêtes auprès du Conseil d’Etat ? »
Le vieux conseiller chargé de sa défense est fasciné par la beauté et le mystère du jeune capitaine et va être amené dans son enquête à pénétrer dans des zones d’ombre troublantes.
Ce roman de Mènis Koumandarèas, nous entraîne dans une double histoire qui superpose le destin de deux êtres perdus vivant ici une histoire d’amour insolite, inavouée et poignante, et celui de la Grèce des années 60, années noires qui aboutissent à la dictature des Colonels. Mais au-delà du réalisme, ce roman de cendres dont le titre pourrait être le vieux Conseiller et le beau Capitaine est aussi une fable amère et ténébreuse, construite comme une sonate à l’écriture simple et subtile, et classe son auteur parmi les grands classiques de la littérature grecque. Geneviève Moreau-Bucherie ( pour la librairie des Saisons)
Voir sur ce lien :Ménis Koumandaréas
Vassilis Alexakis: Talgo. (Roman / stock 1983.), né à Athènes en 1943.
Des mots pour comprendre l’amour.
Éléni, une jeune Athénienne, évoque la fin de sa liaison avec Grigoris – un Grec installé à Paris -, leur première rencontre, leurs retrouvailles à Barcelone, puis encore cette rupture dont elle ne parvient pas à guérir. Le veutelle vraiment ? Ma souffrance est le dernier lien qui subsiste entre nous. écrit-elle. Cette lettre adressée à un absent n’est pas une complainte. Éléni demande aux mots de l’aider à comprendre l’amour. Les mots se montreront bienveillants : ils lui apprendront à discerner sur le visage de l’amour les traits de la poésie. Sur le flacon tu avais écrit à l’encre de Chine : Pluie de Paris… Même si un jour je ne devais plus t’aimer, il faut que tu saches, Grigoris, que je te serai toujours reconnaissante de m’avoir fait ce cadeau. Quand je serai vieille et qu’on me demandera ce qui s’est passé d’important dans ma vie, je répondrai seulement ceci : On m’a jadis offert un flacon d’eau de pluie. ( Note de l’éditeur)
Né à Athènes en 1944, Vassilis Alexakis vit à Paris depuis 1968. Talgo, comme La Langue maternelle (prix Médicis 1995), fait partie de ses oeuvres grecques. Il en a établi une première version française en 1982 (aux éditions du Seuil), amplement revue en 1997.
« Terre de colère » de Christos Chryssopoulos.
Travail intéressant mais un peu agaçant…
Au fil d’une déambulation composée de plusieurs tableaux, parfois fantasmagoriques mais toujours ancrés dans la réalité, Christos Chryssopoulos enquête et observe les symptômes d’un mal qui nous ronge. Il y pose le constat d’une société de surveillance, qui isole et oppose. Où l’incommunicabilité grandit au point que la colère s’impose (à nous) comme ultime possibilité de sortir de soi et fait de nous sa première victime. Nous sommes ainsi tour à tour confrontés aux idéologies racistes, à la violence au travail, aux relations entre hommes et femmes, à la cellule familiale, au milieu scolaire, à travers un subtil jeu de dialogues qui rend compte des difficultés de communication entre ceux qui possèdent la parole et ceux qui ne l’ont pas. L’auteur-narrateur apporte un commentaire à la manière d’un chœur antique entre chaque tableau et finit, dans le dernier tableau, par prendre corps en tant que personnage, en suivant un autre à son insu et rendant ainsi compte au lecteur de son mode opératoire. ( Note de l’éditeur)
« Ap. J.-C. » de Vassilis Alexakis.
Un roman magnifique, d’une grande puissance !
L’histoire commence aujourd’hui à Athènes, chez Nausicaa, une dame de 99 ans, qui demande à l’étudiant qu’elle héberge de mener une enquête sur les moines du Mont Athos. Songe-t-elle à leur laisser sa fortune ? Espère-t-elle retrouver parmi eux son frère disparu dans les années 50 ? Bien qu’il ne s’intéresse qu’à l’histoire ancienne et aux philosophes présocratiques, le jeune homme accepte. Son enquête le mènera loin, mille ans en arrière, à l’époque de la construction du premier monastère. Plus loin encore dans l’antiquité quand l’Athos était déjà habité. Il découvrira que le christianisme ne s’est imposé qu’au prix de destructions et de massacres qui ont duré des siècles et que les dieux olympiens ont connu eux aussi leurs martyrs. Ses investigations lui feront rencontrer des personnages de plus en plus singuliers : un journaliste qui considère la messe orthodoxe comme une œuvre d’art, un historien qui affirme que le christianisme ne prolonge pas l’Antiquité mais qu’il la suit « comme la nuit suit le jour », un moine défroqué, un poète péruvien installé sur la Sainte montagne, les membres d’une étrange communauté dans les faubourgs de Thessalonique, qui dansent pieds nus sur des charbons ardents ? Cinq femmes aussi, dont une plongeuse du département d’archéologie sous-marine. Il fera la connaissance d’un moine français bibliothécaire propriétaire en Normandie d’une maison où l’Abbé-Prévost écrivit Manon Lescaut, et d’un fou de Dieu qui salue les avions qui passent avec un drapeau byzantin. Il apprendra que sur le mont Athos, interdit aux femmes, des militantes communistes ont dansé il n’y a pas bien longtemps, il découvrira surtout une communauté richissime, qui pèse d’un poids considérable sur la vie politique du pays et dont personne ne prend le risque de contester les privilèges, ni de dévoiler les secrets… (Note de l’éditeur)
« Le Vertige des animaux avant l’abattage » de Dimitris Dimitriadis.

Une tragédie digne de Sophocle.
Les jeunes Nilos et Militssa s’aiment et veulent se marier; mais, quand Nilos annonce la nouvelle à son meilleur ami Philon, ce qui paraissait banal prend alors une tournure étrange: Philon, comme possédé par un pouvoir d’oracle, prédit à son ami un destin tragique pour sa future famille, qui sombrera dans le meurtre, l’inceste et le suicide… Cette pièce aux héros très ordinaires possède tous les accents d’une grande tragédie de Sophocle sur la condition humaine. .
« Panique, terreur, agonie, épouvante; Je veux pousser le cerveau jusqu’à ce point. Qu’il ne puisse pas aller au-delà. Qu’il vienne cogner sur sa propre paroi. Qu’il tourne en rond dans le cercle de ses limites. Qu’il se noie, qu’il devienne fou en découvrant qu’il ne peut plus avancer; Quelle est l’action finale, le dernier instant? Vouloir voir et na pas pouvoir. Vouloircomprendre, y être presque, et que ça te soit interdit »... (Note de l’éditeur)
« La folie de midi » de Takis Theodoropoulos.
Roman incisif d’auto-dérision.
Ancien gauchiste reconverti dans les affaires, homme sans scrupules aujourd’hui comme autrefois, le narrateur a perdu le goût de vivre, car sans culpabilité, dit-il, la vie n’a plus de saveur, ce qu’il appelle « le goût du sang ».
Sur une île de la mer Egée en proie à la canicule, ce personnage va s’adresser tout au long du récit à la femme avec qui il est marié depuis 20 ans, faisant alterner interrogations existentielles et fantasmes sexuels, vécus séparément par le couple.
Et les dilemmes tragiques finiront par basculer dans le tragi-comique et le fantastique, se résumant à ces questions : y a-t-il bien un cadavre, est-il le double du narrateur, et que faut-il en faire ? ( page de couverture de l’édition)
J’ai aimé surtout l’écriture incisive de ce roman et son auto-dérision : » Je venais d’achever le plus pâle cursus d’études en économie que saurait concevoir la cervelle humaine et, quoiqu’aux confins de la trentaine, je m’entêtais à considérer ma personne comme un créateur de première force; Je composais des poèmes en vers libres, m’imaginais que le cinéma n’attendait plus que moi pour retrouver son lustre et j’envisageais sans rire d’embrasser la carrière de premier ministre. Jadis bombardé héros national de la résistance contre la junte militaire, je fulminais à tout-va contre l(état de la Grèce, contre les socialistes et les politiques de tout bord » ( page 41)( GMB)
Nikos Kazantzakis (1883–1957) ; Νίκος Καζαντζάκης
« Le christ recrucifié. »
Intensément dramatique !
A Lycovrissi, village d’Anatolie où une population de Grecs orthodoxes vit sous l’autorité d’un agha. Turc, une coutume ancienne exige que tous les sept ans soient choisis une demi-douzaine de villageois qui feront revivre la Passion du Christ durant la Semaine Sainte. Le Conseil des Ancien, présidé par le pope Grigoris, choisit ceux qui sont dignes d’incarner les trois apôtres. Au berger Manolios revient le privilège et la charge d’être le Christ. L’arrivée d’un groupe de Grecs chassés de leur village par les Turcs va diviser Lycovrissi tandis que le pope et les notables refoulent sans pitié ces déshérités, les représentants des apôtres et du Christ s’efforcent de les secourir. A mesure qu’ils mettent en pratique les principes de l’Evangile, ces quatre hommes simples s’affranchissent des mesquineries et de l’égoïsme de leur clan: leur. Charité active agit comme un choc et bientôt une suite de drames bouleverse la vie de la vieille cité…
Ersi Sotiropoulos, Dompter la bête
Eros et Thanatos.
Pour commencer, Ersi Sotiropoulos est née à Patras en 1953, elle a fait des études d’anthropologie en Italie où elle a longtemps vécu avant de s’installer à Athènes. Elle a publié, depuis 1980, cinq romans, une novella, trois recueils de nouvelles et un recueil de poésie. Son roman Zigzags dans les orangers(Maurice Nadeau, 2003) a reçu le Prix d’État et le Prix de la revue Diavàzo en 2000. Ersi Sotiropoulos est traduite en plusieurs langues.
Le roman est très intéressant ! il ne se lit pas si facilement que ça car il débute presque aussi mollement que l’est son héros,à la personnalité un peu agaçante et floue . Mais sa puissance s’est imposée au fil de ma lecture: à la fois mythologie revisitée, celle d’Aris ( Arès?) habité par ses pulsions sexuelles aux couleurs de tauromachie, du petit Priape au bonnet rouge, le destin en personne dans sa peugeot qu’il conduit debout comme un char lancé à pleine vitesse, une pâle Carla diaphane comme un marbre de Paros, et un dénouement vertigineux très « Eros et Thanatos » lorsqu’Aris part sur la barque dans des eaux marécageuses . A la fois réaliste, ironique et métaphysique , tragique et comique, qui nous fait part à la fin de la métamorphose du héros bien las de tout et de lui, en quête de son poème.Et tout cela sur la toile de fond de la crise politique et sociale de la Grèce contemporaine, dans une langue qui ne mâche pas ses mots , si je peux m’exprimer ainsi, et remarquablement traduite. Geneviève Moreau-Bucherie , pour la librairie Les Saisons.
Lire cet article du Monde: sur ce lien suivant : Ersi Sotiropoulos
J’ai lu aussi, du même auteur mais moins convaincant, Eva.
« La femme du métro » de Mènis Koumandarèas.
Beauté de la jeunesse, hantise du vieillissement…
La Femme du métro, de Mènis Koumandarèas et traduit par Michel Volkovitch, est un roman d’une grande force comme La Verrerie ou Le Beau Capitaine récemment traduit en français.
A la fin de l’hiver dans les années 70 à Athènes, une femme mariée de quarante ans et un étudiant de vingt ans se retrouvent tous les soirs dans le même métro. De ces rencontres fugaces naît un amour impossible. L’histoire est toute simple en apparence mais Koumandarèas y déploie ses thèmes de prédilection : beauté de la jeunesse, hantise du vieillissement, vies gâchées, mélancolie, amertume, thèmes que l’on retrouve dans les romans de Scott Fitzgerald qu’il a lui-même traduits. Ce portrait de femme est inoubliable. ( Note de l’éditeur)
» Accoutumance à la nicotine » de Thanassis Valtinos.
Fumer tue ?
“Accoutumance à la nicotine”, voilà un titre auquel «l’air du temps peut donner l’allure d’une provocation», remarque Gilles Ortlieb dans son avant-propos. Parce que fumer tue. Mais dans les récits rassemblés ici, on s’aperçoit que la guerre également tue, que la bêtise tue, que le temps finit toujours par tuer lui aussi. Et c’est peut-être pour supporter tout cela que les personnages de Thanassis Valtinos allument parfois une cigarette. ( Note de l’éditeur)
« Le premier mot » de Vassilis Alexakis.
La langue maternelle

Le Premier Mot est avant tout l’histoire d’un homme, Miltiadis, né en Grèce et professeur de Littérature comparée à Paris, qui aimerait connaître ce tout premier mot . Mais il meurt avant de l’avoir découvert et sa soeur âgée d’une soixantaine d’années se chargera d’élucider l’énigme. Elle rencontrera des scientifiques de tous bords qui lui parleront du cerveau humain, du langage des bébés, des chimpanzés et de l’homo sapiens, de Darwin et des créationnistes, et d’un roi d’Egypte qui avait fait élever ses enfants loin du monde pour voir dans quelle langue ils s’exprimeraient spontanément… ( Note de l’éditeur)
Ce roman dont le vrai protagoniste pourraît être la langue, langue maternelle qui plus est, est pourtant chargé d’émotion et la fin est particulièrement « parlante » !…
XIX° siècle : Alexandre Papadiamandis (1851-1911) Αλέξανδρος Παπαδιαμάντης: Les petites filles et la mort. Actes Sud 2003
La Meurtrière.
La vieille Yannou est au chevet de sa petite-fille, âgée de quelques jours à peine et déjà gravement malade. Au fil des heures de veille durant lesquelles elle se remémore sa vie passée, elle découvre qu’elle n’a jamais vécu que dans la servitude. Elle se persuade alors que son devoir est de délivrer – par tous les moyens – les petites filles de l’enfer qui les attend. Ecrit en 1903, Les Petites Filles et la Mort (dont le titre original se traduit par La Meurtrière) est le maître livre de Papadiamantis. Dans une tragédie qui va bien au-delà du tableau de mœurs, il invente une langue somptueuse et propose une réflexion sur la condition féminine, tissée d’obsessions personnelles, qui se révèle d’une inquiétante modernité. ( Note de l’éditeur)
Alexandre Papadiamandis (1851-1911) est l’un des plus grands auteurs de la prose néo-hellénique. Son œuvre est composée essentiellement de nouvelles et de quelques romans, parmi lesquels La Fille de Bohême (Actes Sud, 1996).
«Le Quart », de Nikos Kavvadias.
Une odyssée moderne d’une noirceur totale.
« Je voudrais qu’on oublie aussi mes ossements, mais dans un bordel. Et que les femmes s’en servent comme canules pour leurs bocks, comme fume-cigarettes, comme sifflets. »
Chef-d’oeuvre publié en 1954, Le Quart, roman du poète grec Nikos Kavvadias, est une odyssée moderne d’une noirceur totale.
On y suit les errements d’une embarcation sans âge, en route vers la Chine. Cercueil flottant, le cargo et son équipage voguent sans cesse vers d’autres ports, d’autres maraudages, d’autres bordels et d’autres putains. Entre deux escales, les marins grecs qui se trouvent à bord nous livrent sans pudeur leurs misérables existences ; ils ressassent leurs aventures, leurs amours, leurs échecs, avec une amertume et une mélancolie abyssales.
À travers la voix de ces hommes de quart qui ne nous épargnent rien de la cruauté et de l’obscénité de leur univers, Kavvadias parle de l’absurdité humaine mais aussi et surtout de la mer, ce lieu mythique que, de Conrad à Cendrars, nul n’a si bien décrit que lui. ( Note de l’éditeur)
Eugenia Fakinou : «La Septième Dépouille ».
Intense et foisonnant.
Le second roman d’Eugenia fakinou, intitulé La septième dépouille, est un livre au centre duquel se situe la mort. Il aborde la question essentielle du devenir à travers le destin de trois générations de femmes : il s’agit d’une grand-mère, qui n’est jamais nommée autrement que Mère dans le livre, de sa fille, Hélène, et de sa petite fille Roula. Les deux premières vivent à Racine, un petit village de campagne, alors que la dernière, Roula, habite depuis sa jeunesse à Athènes, une des grandes métropoles de l’île. Ce roman nous livre donc deux visions différentes d’un même lieu en établissant une confrontation entre Grèce moderne et Grèce archaïque.
L’intrigue principale de l’œuvre est celle-ci : Roula, qui n’a plus de nouvelles de sa famille depuis des années, reçoit un jour une lettre. Cette missive, envoyée par la grand-mère, est en fait destinée à la mère de Roula, qui est décédée. Elle lui demande de se hâter de revenir à Racine, car son frère, Fotos, est mourant. Par curiosité, mais aussi pour honorer la promesse qu’elle avait faite à sa mère, Roula va alors entreprendre le voyage qui l’amènera au chevet de son oncle.
Cependant, l’intrigue du roman est plus complexe que cela. Deux autres récits s’entremêlent au premier pour n’en former qu’un, intense et foisonnant. En fait, chacune des trois femmes citées ci-dessus est narratrice de sa propre histoire, qui n’est livrée que par bribes, puisqu’elles prennent la parole à tour de rôle. Il s’agit d’un magnifique jeu de miroirs et d’échos. ( Note de l’éditeur)
Et un auteur français, vraiment grec, Jacques Lacarrière, l’Eté grec, le livre par lequel tout a commencé…
Écrivain, poète, traducteur (du grec) et avant tout grand voyageur (1925-2005) L’été grec (Plon, 1976
C’est sous les portiques de l’Agora d’Athènes où la foule de ses auditeurs, abritée du soleil, venait écouter Hérodote relater ses voyages, que l’on aimerait lire, ou mieux encore entendre lire, l’Eté grec.
Car ce livre est une approche vivante, un témoignage passionné, l’histoire d’une liaison heureuse de plus de vingt ans avec une terre, un peuple et une histoire. L’originalité de l’approche de Jacques Lacarrière, dont on dit qu’il est l’un des interprètes les plus modernes de la pensée antique, est – littéralement dans sa démarche : chemin faisant, selon le titre même de l’un de ses livres, nous avançons avec lui, poursuivant la Grèce jusqu’en ses plus secrets retranchements.
Tels ces ascètes en quête d’un » homme différent » vivant – ivres de Dieu – aux frontières de la mort. Et il devient alors évident que ce que cherche sans relâche sur la terre hellène ce promeneur solitaire, il l’a déjà trouvé en lui-même. A travers le quotidien, les gestes et la langue populaires, dans un style impressionniste où se retrouvent l’harmonie de Sophocle, les chants médiévaux de Digenis, les mémoires du général Makryannis et les Kleftika, ces chants épiques de la guerre d’indépendance, nous passons tout naturellement de l’autre côté du miroir pour retrouver le fil qui relie Eschyle à Séféris, Homère à Elytis et Pindare à Ritsos.
A la manière enfin dont on a dit du printemps 68 français qu’il fut » chaud « , on peut parler de la chaleur et du souffle libertaire de l’Eté grec. Mais le plus rare peut-être en ce beau livre est que l’exceptionnelle érudition de l’auteur n’ait en rien entamé l’étonnement, la jeunesse et l’acuité de son regard. ( Note de l’éditeur)