II – Ce que révèlent d’eux les inscriptions sur les spectacles :
Les Pompéiens étaient passionnés pour les jeux du cirque.
Nous nous souvenons de la fameuse rixe de 59 entre les partisans que l’excitation des combats amena à des luttes violentes, animées de rancœurs.
Les spectacles où se déclenchaient les instincts, les passions, voire
même une hystérie quasi collective, étaient organisés par des imprésarios appartenant aux classes les plus élevées de la société : la loi faisait obligation aux magistrats de donner des jeux.
Cn Alleio (Nigidio) MAIO, PRINCIPI MUNERARIORUM FELICITER – 7 990 –
Cet homme donne quatre fois des jeux à ses frais à la ville.
Parmi les aristocrates, une émulation morbide régnait : c’était à qui donnerait le combat le mieux fourni en gladiateurs, la chasse la plus meurtrière contre les bêtes les plus féroces.
Les affiches écrites en rouge et noir annonçaient les jeux et usaient de publicité pour attirer le plus de spectateurs possible : ces jeux avaient également une fonction politique puisqu’ils servaient à la popularité d’une personnalité.
On a retrouvé cette longue inscription composée avec soin et souci du
détail, par Aulus Clodius Flaccus, duumvir quinquennal pour la troisième fois, tribun militaire nommé par le peuple.
« Pour son premier duumvirat, aux jeux d’Apollon, sur le forum une parade, des taureaux, les toréadors et leur « cuadrilla », trois paires de clowns, une troupe de pugilistes isolés ; représentations avec toutes sortes de bouffons et de pantomimes parmi lesquels Pylade et dix mille sesterces à distribuer au public en l’honneur de son duumvirat.
Pour son deuxième duumvirat quinquennal, aux jeux d’Apollon, sur le forum, une parade, des taureaux, les toréadors et leur « cuadrilla », une troupe de pugilistes. Le deuxième jour, à ses seuls frais, à l’amphithéâtre, trois paires d’athlètes, quarante paires de gladiateurs : une chasse, des taureaux, des toréadors, des sangliers, des ours et une deuxième chasse avec divers fauves, à frais communs avec son collègue.
Pour son troisième duumvirat, des représentations au début, puis des bouffons à frais communs avec son collègue. » ( Etienne : La vie quotidienne à Pompéi) – 1 074 –
Ces jeux étaient donc grandioses ; la fête prenait des aspects multiples, associant pour l’occasion, théâtre et jeux du cirque proprement dits, dans une gigantesque animation qui durait plusieurs jours.
Les formules publicitaires en général revêtaient cette forme :
SINE ULLA DILATIONE, ou SINE IMPENSA PUBLICA, ou encore VENATIO ET VELA ERUNT ; ou simplement VELA ERUNT.
On a trouvé le mot VENATIO trente fois dans les inscriptions : il s’agissait de ces chasses mentionnées plus haut, considérées comme attractions supplémentaires.
Les voiles étaient tendus pour protéger du soleil.
A. SUETTI CERTI AEDILIS FAMILIA GLADIATORIA
PUGNANT POMPEIS PRIDIE KAL. IUNIAS
VENATIO ET VELA ERUNT. – 1 189 –
Une autre annonce de spectacle écrite par CELER le scriptor qui introduit lui-même son affiche, et promet :
SCR(ipsit) CELER SCR AEMILIUS CELER SING(ulus) AD LUNA(m)
D LUCRETI(i)
SATRI VALENTIS FLAMINIS NERONIS CAESARIS AUG FILI
GLAD PARIA .X. PUG(nabunt) POMPEIS VI, V, IV, III, PR(idie)
IDUS APR(iles) VENATIO LEGITIMA
ET VELA ERUNT – 3 884 –
Pour le plaisir de la foule, les notoriétés dispensatrices de spectacles allaient jusqu’à faire parfumer et rafraîchir l’air, dans les amphithéâtres, par des pulvérisations d’eau additionnée de safran.
Ainsi, le raffinement et le goût du grandiose étaient associés à la cruauté de ces jeux et dénotaient chez les Pompéiens une certaine avidité morbide, et de toute évidence un penchant pour le voyeurisme.
Nous avons vu que ces tendances du peuple étaient largement exploitées par les imprésarios qui promettaient sur les affiches de l’inédit, du neuf, du spectaculaire.
Les calendriers des spectacles inscrits sur les murs montrent à quel point le phénomène des jeux était important dans la vie et les loisirs du peuple Pompéien : la fréquence des combats de gladiateurs, des venatio et autres attractions en est la preuve.
Pour exemple ce calendrier recomposé inscrit :
en mars……… : V KAL APR
en avril……….: IV NON APR
NON APR
VI V IV III PR ID APR
en mai………..: KAL MA I
IV PR ID MAI
XVII XVI XV PR KAL IUN
en juin………..: KAL IUN
ID IUN
en juillet……..: IV NON IUL
en août……….: V KAL SEPT
en novembre.: VIII VII VI V IV III PR KAL DEC
en décembre..: IV NON DEC USQUE AD ID DEC
IV PR NON
VIII VI ID
XIV XIII XII X IX KAL IAN
( 7 989 – 1 185 – 7 995 – 7 992 – 3 884 – 1 186 – 2 508 – 1 183 – 1 189 – 7 993 – 1 180 – 1 989 – 1 175 – 1 199 )
Ce calendrier nous montre qu’après un hiver sans arènes, à partir de la fin février les combats se succèdent jusqu’en juillet ; les mois de grosses chaleurs sont évités : on ne découvre qu’un seul combat le 28 août.
L’automne ignore les fêtes de vendanges contrairement aux habitudes méditerranéennes et il faut attendre la fin de novembre pour bénéficier en deux temps, d’une semaine de jeux.
On comprend à quel point les tentations continues et parfois simultanées sollicitèrent les Pompéiens, quand on sait que les spectacles étaient également donnés dans les proches environs de la ville :
« à Nole les 1er, 2 et 3 mai ( 3 881)
à Nocera les 5, 6, 7, 8 mai ( 3 882)
à Pouzzoles les 12, 14, 16 et 18 mai » (7 994)
On sait en outre qu’il y avait des fêtes régulières dont les dates demeuraient
fixes : les fêtes d’Apollon étaient l’occasion le 5 juillet des LUDI APOLLINARES ;
Le 17 décembre et les jours suivants faisaient l’objet de grandes réjouissances qui débordaient du cadre des jeux du cirque : il s’agissait de fêtes Saturnales en l’honneur de Saturne, comme leur nom l’indique, où la plus grande liberté régnait occasionnellement, sur le ton de « SATURNINA IO SATURNALIA ».
Souvent les spectacles de gladiateurs étaient dédiés à quelqu’un de particulier, et les affiches annonçant des dates pouvaient aussi inscrire :
PRO SALUTE CAESARIS AUGUSTI ET OB DEDICATIONEM ARAE ;
DEDICATIONE OPERIS TABULARUM – 1 177 – 1 180 – 1 181 – 3 883 –
Le peuple Pompéien fanatisé parfois par les spectacles du cirque avait ses favoris dans la masse des gladiateurs qui étaient tout aussi renommés que les joueurs des équipes de football ou d’autres manifestations actuelles de ce genre.
Les inscriptions les concernant tracent plus ou moins une légende autour de leurs noms.
Ainsi un graffiti représente un gladiateur armé descendant fièrement des marches ( sans doute celles de l’amphithéâtre), portant les palmes de la victoire dans sa main droite levée : au-dessous on lit cette inscription dans une écriture ronde et emphatique dont les jambages se prolongent longuement au-dessous du corps des lettres) : ( iconographie)
CAMPANI VICTORIA UNA CUM NUCERINIS PERISTIS – 1 293 –
Cette inscription dévoile en outre un patriotisme assez accentué.
Le gladiateur qui joue sa vie chaque jour exerçait une certaine fascination sur le peuple qui l’acclamait, le glorifiait et écrivait son nom sur les murs et dessinait son effigie griffonnée à la hâte.
Ainsi deux gladiateurs dessinés en posture de combat et armés, sont représentés face à face : au-dessus de leur tête on peut lire leur nom,
PROCULUS DIOMEDES – 5 215 –
De même une série de quatre gladiateurs autonomes, avec inscrit au-dessus de leur silhouette de manière très stylisée :
OCEANUS……………………………..L (libertus victoriarum) XIII V(icit)
ARACINTUS……………………………L(libertus victoriarum) IIII (periit)
SEVERUS………………………………..L(libertus victoriarum) XIII (periit)
ALBANUS……………………………….SC(auri libertus vict.) XIX V(icit)
– 8 055 – 8 056 –
Dans cette inscription, on relate le sort dramatique de deux gladiateurs, immortalisés ainsi par ce gribouillage hâtif. ( iconographie)
Légendaires aussi furent leurs exploits amoureux dus à l’effet produit sur les femmes de l’époque par leur courage et les risques qu’ils prenaient à tout moment.
Certaines femmes de la haute société n’hésitaient pas à rejoindre le gladiateur dans sa cellule après le combat, pour lui rendre les hommages dus au vainqueur, et l’on a retrouvé parmi les corps figés par la cendre, lors de la catastrophe de 79, celui d’une femme chargée de bijoux.
Ces inscriptions évoquent par exemple le Thrace Celadus :
SUSPIRIUM
PUELLARUM
CELADUS TR(ax) – 4 397 –
Béguin des filles, PUELLARUM DECUS CELADUS? – 4 289 – 4 345),
cité par deux fois et à ce point populaire, qu’une autre inscription le
nomme encore :
TRAEX CELADUS RETIARIUS CRESCENS PUPARUM DOMINUS – 4 289 – 4 345 –
Aux côtés du rétiaire CRESCENS, immortalisé dans cette expression :
CRESCENS RETIARIUS? PUPARUM MATUTINARUM NOCTURNARUM ET ALIARUM MEDICUS – 3 453 –
Crescens, le médecin tardif des poupées nocturnes…entre autres…, est cité aussi plus loin :
CRESCENS INSIGNARIUS CAMPANUS, CRESCENS PUELLARUM DOMINUS – 8 915 – 8 916 –
Mais à côté de ceux des gladiateurs, d’autres noms figurent sur les murs de Pompéi, également populaires et renommés à la même époque : il s’agit de Paris – 1 294 – 1 305 – 7 051 -. Le plus connu des acteurs de théâtre de l’époque : on trouve même son nom sur une affiche électorale, sans doute écrite par ses partisans, les « Paridiani »… ( iconographie)
ALBUCIUM ET CASELLIUM AED. O. V. F. PARIS ROGAT.
On a trouvé également :
PARIS HIC FUIT
PARIS VALE
PARIS ROGAT – 7 051 –
ACTUS ANICETUS était aussi un des acteurs favoris des Pompéiens : cité plusieurs fois, – 3 891 – 4 965 – 5 399 – 5 404 – 6 898 –
ACTUS ANICETUS VALE, appelé DOMINUS SCAENICORUM, le maître des acteurs.
ACTI AMOR POPULI CITO REDI, VALE.
Cette autre inscription, anonyme, lui était peut-être dédiée :
SCENAE DOMINE, VALE. – 3 877 –
Les inscriptions relatives aux spectacles de toutes sortes révèlent donc tout un aspect du caractère des Pompéiens, en confirmant ce que nous avions appris d’eux auparavant en lisant les graffitis des tavernes, des auberges et de maisons avoisinantes de ces établissements.
ce peuple enclin aux plaisirs ne cache pas ses penchants pour le vin, le sexe, et le jeu, dans une exubérance verbale qui traduit bien sa spontanéité.
L’argent aussi était salué sur les murs :
SALVE LUCRUM – 874 –
LUCRUM GAUDIUM – 875 –
… et nous ne sommes peut-être pas étonnés d’apprendre qu’il fut aussi la cause de la mort de beaucoup de Pompéiens, lors de la catastrophe de 79, puisque l’on a retrouvé un bon nombre de cadavres saisis par les laves avec toute leur fortune et leurs bijoux autour d’eux ou sur eux : le désir de sauver leur bien retarda leur fuite !
Pour compléter cette étude du caractère et des mœurs des Pompéiens, et de leurs sentiments à travers les inscriptions, nous analyserons les graffitis ayant trait à l’amour en en dégageant les multiples manifestations affectives.