Phèdre de Sénèque , Acte I : « Un amour fatal »

Iconographie : Rachel dans le rôle de Phèdre de Racine.
Texte 4 : Phèdre, Acte 1 , vers 225-266.

Dialogue de La Nourrice et Phèdre : « un amour fatal » ».

PH – Ille ( Theseus) forsitan veniam dabit, il ( Thésée) accordera peut-être son pardon

amori nostro, à mon amour.

NUT – Immitis etiam fuit, il fut impitoyable même

conjugi castae, à une épouse chaste ;

barbara Antiope experta (est), la barbare Antiope fit l’expérience

saevam manum, de son bras cruel.

Sed puta conjugem iratum posse flecti , mais ( si tu ) crois qu’un époux en colère peut se laisser fléchir :

quis flectet hujus animum intractabilem , qui fléchira  le cœur intraitable de l’autre ( Hippolyte) ?

Exosus fugit

Dans sa haine il fuit

omne feminae nomen,

tout ce qui a nom de femme,

immitis dicat caelibi

sauvage, il consacre au célibat

annos vitae,

(les années de) sa vie,

conubia vitat : genus Amazonium scias.

Il évite le rapport sexuel ( le lit marital) : sache-le ! un fils d’Amazone !

Hunc …sequi placet

Je veux ( il me plaît de ) le suivre

per alta nemora, per montes,

dans les hautes futaies, dans les montagnes,

haerentem in nivosi collis jugis,

tandis qu’il s’accroche aux crêtes dans les cols enneigés,

et calcantem aspera saxa

et qu’il foule les rocs abrupts

agili pede.

d’un pied leste.

NUT – Resistet ille

Il s’arrêtera ( crois-tu qu’il)

seque mulcendum dabit

et s’offrira charmé

castosque ritus exuet

(et) il renoncera à sa chasteté fondamentale

venere non casta ?

pour une maîtresse impudique ?

Tibi ponet odium, forsitan ,

Pour toi ( seule) peut-être, il se départira de sa haine,

cujus odio persequitur omnes ?

haine dont il ( nous) poursuit toutes ?

Precibus haud vinci potest :

Il ne peut être vaincu par les prières :

ferus est .

c’est un sauvage.

PH – Amore didicimus vinci feros.

On dit que l’amour vainc les sauvages.

NUT- Fugiet.

Il fuira.

PH – Per ipsa maria si fugiet, sequar.

Même sur mer, s’il fuit, je le suivrai.

NUT – Patris memento.

Souviens-toi de ton père.

PH – Meminimus matris simul.

Je me souviens de ma mère aussi.

NUT – Genus omne profugit.

Il fuit tout notre sexe.

PH – Paelicis careo metu.

Me voilà libre de la crainte d’une rivale.

NUT – Aderit maritus.

Ton mari reviendra.

PH – Nempe Pirithoi comes ?

En compagnon de Pirithoüs, n’est-ce pas ?

NUT – Aderitque genitor.

Ton père aussi reviendra.

PH – Mitis Ariadnae pater

Doux père pour Ariane !

Vers 246

NUT – Per has splendidas comas senectae

Par les cheveux brillants (auréolés) de ma vieillesse

supplex,

je t’en supplie,

fessumque curis pectus

par mon cœur épuisé de maux

et cara ubera,

et par ce sein qui te fut cher,

precor,

je t’en conjure,

furorem siste

renonce à ta folie

teque ipsa adjuva :

et aide-toi toi-même :

velle sanari

vouloir guérir

pars sanitatis fuit.

c’est guérir en partie .

PH – Non omnis pudor cessit

Toute pudeur n’a pas quitté

animo ingenuo.

mon noble cœur.

Paremus, nutrix !

Nourrice, j’obéis.

Qui regi non vult amor

Que cet amour rebelle (qui ne veut pas être régi)

vincatur.

Soit vaincu.

Haud te maculari sinam fama.

Je ne permettrai pas que ma réputation soit salie.

Haec sola ratio est,

Il n’y a qu’une seule solution,

unicum effugium mali :

seule issue à ce mal :

virum sequamur,

que je rejoigne mon époux,

morte praevertam nefas.

que par ma mort, j’aille au devant du sacrilège !

vers 255

NUT – Moderare, alumna

Modère, mon enfant,

mentis effrenae impetus ,

tes transports effrénés,

animos coerce !

réprime tes ardeurs !

dignam vitam reor

je te pense digne de vivre

ob hoc quod esse autumnas.

pour cela même que tu prétends

temet ( = te) dignam nece ( esse)

que tu es digne de mort.

PH – Decreta mors est :

Ma mort est résolue :

quaeritur fati genus.

j’en cherche le mode ( de ma mort)

Laqueone vitam finiam

Périrai-je par le lacet ( étranglée)

an ferro incubem ?

ou me coucherai-je sur un glaive ? ( pour me transpercer )

An cadam

Irai-je me jeter

missa praeceps arce Palladia ?

en me précipitant du haut de la citadelle de l’Acropole ?

Proin armemus manum,

Armons donc notre main,

castitatis vindicem.

que je venge la chasteté !

NUT – Sic senectus nostra

Ainsi, ma vieillesse ( mes vieux jours)

te sinat perire

te permettrait de mourir

praecipiti leto ?

d’une mort prématurée ?

Siste furibundum impetum :

Retiens tes élans délirants :

haud quisquam facile potest

nul ne peut aisément

ad vitam revocari.

ramener quelqu’un à la vie .

PH – Nulla ratio potest

Nulle raison ne peut

prohibere periturum,

interdire ma mort (que je meure) ,

ubi qui mori constituit

quand quelqu’un est résolu à mourir

et debet mori.

et doit mourir.

FIN

Quelques pistes d’analyse de la page :

1- Un dialogue sous tension:

Noter les changements de rythme avec les stichomythies au centre, qui accélèrent le tempo, indiquent l’urgence, empreints d’ironie tragique.

C’est à l’issue de ce dialogue où Phèdre martèle sa résolution à mourir, que la nourrice va agir pour sauver sa maîtresse, et décider de fléchir Hippolyte, puis de l’incriminer faussement .

2- la furor de Phèdre : l’amour et la mort.

– Le délire de Phèdre : contradictions sur la personnalité d’Hipolyte (« immitis  » / « veniam dabit », l’intraitable pardonnerait, « mulcendum » / « ferus est « , le sauvage s’adoucirait,  » castos ritus » /  » Venere non casta », le chaste oublierait sa pudeur pour une impudique .L’échange avec la nourrice révèle à quel point elle s’aveugle !

Délire aussi dans le harcèlement ( obsession) : « Hunc …sequi per alta nemora, per montes placet » ( 235).

– La nourrice presse Phèdre de metre un frein à sa FUROR : rôle des impératifs catégoriques itérés :  » furorem siste teque ipsa adjuva » ( 248), « moderarerong> mentis effrenae ong>impetusg> » ( 255 ), « animos <strong>coerce » ( 256), « siste furibundum impetum » ( 263) : la furor est dans ces élans, ces assauts  » impetus »

– Un amour fatal : thème de la mort sujet de l’échange et présent à partir du vers 250 , prémonitoire de l’issue de la tragédie . ( lexique, expressions : « morte » ( 254), « nece » (257),  » decreta mors est » ( 258),  » fati » ( 258),; le mode oparatoire très réaliste  » laqueone »,  » ferro », missa praeceps cadam  » ( 260),  » armemus manum » ( 261);

Irrévocabilité de la mort :praecipiti perire leto » ( 262),  » haud quisquam ad viatam facile revocari potest » ( 264), irrévocabilité de la décision de mort :  » prohibere nulla ratio periturum potest , ubi qui mori constituit et debet mori. » ( 265-266).( expressions quasi symétriques)

Geneviève Moreau-Bucherie

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