« Phèdre » de Sénèque, Acte II, La nourrice au choeur

 

TEXTE 3 : « La confession de la nourrice au choeur »

Acte II, Le choeur, la nourrice. Vers 358-386

Traduction en juxtalinéaires et pistes de commentaire

Vers 358-378

Chorus : Aetrix, profamne quid feras, Nourrice, raconte les nouvelles que tu apportes, (ce que tu apportes)

quonam in loco est regina ? en quel lieu est la reine ?

ecquis modus estsaevis flammis ?y a-t-il une modération  à ses cruelles flammes ?

Nutrix: Spes nulla posse leniri tantum malum Aucun espoir ne peut adoucir un si grand mal

finisque nullus erit flammis insalis, et il n’y aura aucun terme à cette flamme insensée,

Torretur aestu tacito Elle est brûlée par une ardeur muette

et inclusus quoque furor et même si sa folie est enfermée ( en elle),

quamvis tegaturproditur vultu. quoique cachée, elle se trahit sur son visage

Erumpit oculis ignis Le feu jaillit de ses yeux

et lassas genae lucem recusant ; et ses paupières fatiguées refusent la lumière du jour ;

nil idem dubia placet , rien d’identique ne plaît à l’indécise

(-que) incertus dolor artus varie jactat. et une douleur imprécise  agite ses membres en tous sens.

Nunc labitur ut moriens, Tantôt elle s’effondre comme mourante,

soluto gradu, sa marche sans contrôle,

et vix sustinet caput labante collo, et bientôt elle soutient sa tête sur un cou fléchissant,

nunc se quieti reddit, tantôt elle succombe au repos,

et, somni immemor mais, oublieuse du sommeil

noctem querelis ducit ; elle passe la nuit dans les plaintes;

attolli jubetem iterumque poni corpus, elle demande qu’on la lève , qu’on la couche encore,

et solvi comas rursusque fingi ; et qu’on dénoue ses cheveux  qu’on les peigne à nouveau;

semper impatiens sui, mutatur habitus. jamais satisfaite d’elle-même,  qu’on change ses vêtements.

Nulla cura Cereris aut salutis , Nul souci de Cérès (= de la nourriture) ni de sa santé

jam subit , vadit incerto pede, ne lui vient plus à l’esprit,  elle s’en va d’un pas incertain,

jam viribus defecta déjà privée de forces

non idem vigor, sans la même vigueur,

non purpureus rubor ni le rose-pourpre

ora tinguens nitido ; colorant son visage (au teint) éclatant;

populatur artus cura, ses membres sont dévastés par sa passion,

jam gressus tremunt tenerque decor nitidi corporis, déjà ses jambes tremblent  et le charme délicat de son corps splendide

cecidit. l’a quittée.

vers 379-386

Et …oculi qui ferebant signa Phoebeae facis, Et ses yeux qui portaient les signes  du flambeau de Phébus,

micant nihil gentile nec patrium. ne brillent ( plus) de rien de familial ( = de ces traits de famille)  ni de ses aïeux ( divins).

Lacrimae cadunt per ora Les larmes coulent sur son visage

et genae assiduo irrigantur et ses joues sont irriguées en continu rore, de rosée,

qualiter Tauri jugis, comme, aux pics du Taurus,

percussae nives tepido imbre madescunt, les neiges percées par une pluie tiède ruissellent en fondant.

Sed en patescant regiae fastigia ; Mais voilà que : s’ouvre la porte du haut du palais :

reclinis ipsa toro sedis auratae, elle-même, allongée sur les coussins  de son lit d’or,

non sana, abnuit solitos amictus . folle, refuse les habits habituels ( = qu’on lui met d’habitude ) FIN

Commentaire : Ce dialogue du Choeur avec la nourrice permet un portrait de Phèdre qui complète l’introspection de Phèdre sur son ètat à l’acte I. Ce portrait d’un point de vue extérieur cette fois, se focalise sur le corps.

1- Une scène de théâtre et ses conventions: prétexte au portrait.

– dialogue du choeur avec la nourrice, qui n’a pas de nom : c’est une fonction. Il est prétexte à délivrer un message attendu du peuple, hors du palais.  » Frofare quid feras ». vers 1 – Noter l’absence de didascalies dans la tragédie antique. C’est le discours de la nourrice qui tient lieu d’indication scénique .Rupture au vers 384  » Sed en, patescunt regiae fastigia »…qui annonce l’ouverture de la porte du palais et invite le choeur / les spectateurs à orienter leur regard en fond de scène. – Le regard de la nourrice sur Phèdre, dans le rôle qui est le sien auprès de sa maîtresse, permet de passer de l’intériorisation à l’extériorisation, elle raconte et décrit ce qu’elle voit.

2- Un portrait réaliste de la dégradation et de l’effondrement qui annonce la chute de Phèdre.

Toutes les parties du corps sont nommées, visage, yeux, paupières, joues, cheveux, cou, tête, membres dont les jambes, et ses vêtements. A la fin de cette liste, après le morcellement douloureux, la totalisation par l’évocation du corps entier  » corporis » au v 378. – Chaque partie du corps est associée à un terme ou une expression dévaluante qui disent la dégradation physique de Phèdre due à son mal incurable: l’affaissement, le ternissement, la crispation. LE VISAGE : « vultu » v 363 /  » « furor » (traits contractés par la folie)  » ora » v 376 / Non tinguens nitida purpureus rubor » ( perte de l’éclat) les YEUX : « Oculis » v 364 /  » erumpit ignis » ( fureur )  » oculi » v 380 / « nihil … micant » ( race solaire éteinte) les PAUPIERES  » genae » v 364 /  » lassae » ( tombantes) les JOUES  » genae » v 381 / « lacrimae cadunt, assidue irrigantur » » ( baignées de larmes en permanence) La TÊTE et le COU :ng>  » caput », ‘collo » v 368 / « labante » ( effondrement) ses CHEVEUX :  » comas » v 371 /  » solvi » et  » fingi » ( contradictions) Du haut vers le bas, propagation de l’effondrement qui gagne les MEMBRES dont les JAMBES :  » artus » v 366 /  » jactat varie » ( désarticulation)  » artus » v 377 / « populatur » ( dévastation)  » gressus » v 377 / « tremunt » ( tremlements). Sa démarche est incertaine et saccadée :  » gradu » v 367 /  » soluto » et  » pede » / « incerto ». Perte de VIGUEUR :  » viribus » v 375 / « defecta » et  » vigor » v 375 /  » non ». = son CORPS entier :  » corporis » v 378 /  » cecidit decor » ( perte de la beauté avec un verbe qui a la connotation de la chute annoncée . 3- un portrait poétique et pathétique : Rôle des métaphores, certaines présentes dans la première tirade de Phèdre ( texte 2)

Le chaud et le froid: – Métaphore initiale qui inaugure le portait: le FEU. ( un poncif)  » finisque flammis nullus insanis erit », v 361, feu qui image le mal incurable et dévorateur, cause de la dégradation physique qui suit . – Métaphore finale plus originale qui clôt la tirade : la NEIGE fondante.  » qualiter Tauri jugis tepido madescunt imbre percussae nives ». Noter la connotation négative de  » percussae », percées .( pathétique). CCL : Ce portrait relais traduit une évolution de l’acte I à l’acte II de la dégradation de Phèdre , proie de ses démons, livrée d’ores et déjà à sa furor. Inquiétude de la nourrice: son rôle par la suite sera moteur du tragique. En voulant la sauver, elle la perdra .

Geneviève Moreau-Bucherie

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