Ah ! Koumandarèas ! σ’άγαπω.

Mènis Koumandarèas né en 1931 est considéré comme l’un des grands romanciers grecs d’aujourd’hui. Il a écrit « La Verrerie » et » La Femme du métro », et a traduit entre autres de grands romanciers américains comme Mc Cullers et Fitzgerald, Faulkner, Edgar Poe. Il a reçu deux fois le Prix d’Etat pour le roman. Il est mort assassiné à Athènes en Décembre 2014.
L’œuvre de Mènis Koumandaréas, se caractérise par un portrait de la société grecque d’après-guerre, sa classe moyenne, ses petits commerçants et ses fonctionnaires. Sa ville natale, Athènes, dans laquelle il a toujours vécu, occupe une place centrale dans son œuvre, comme un personnage à part entière.
LES NEIGES DE DECEMBRE NE PREVIENNENT JAMAIS ( nouvelles), Le Soupirail éditeur, traduit par Guillaume Tournier.
Un autoportrait en éclats de miroir.
Ce dernier ouvrage traduit en français par Guillaume Tournier, « Les neiges de décembre ne préviennent jamais » édité chez « Le Soupirail », nous invite à traverser Athènes dans le temps et l’espace de cinq nouvelles extraites de l’édition grecque « Η γυναίκα που πετάει », la femme qui vole, éd. Kedros.
Il s’agit bien d’un parcours dans Athènes, comme un voyage temporel, qui nous emporte en 1944 la nuit de Noël, en 1969 pendant la dictature des colonels, dans les années 80 , jusqu’à l’été de 1987 , et un insert à notre époque, celle des portables, même si celui-ci appartient au « diable »… Propulsés dans le kaléidoscope de la ville, ses rues et ses quartiers, Patission, Péristéri, Kolonaki, Koukaki, Kipsélis, en camion, en voiture et dans la nouvelle centrale, en taxi, nous suivons Mènis, enfant, jeune homme et vieillissant, d’un bout à l’autre.
De dérive en dérive nous croisons un barbier qui n’est pas sans évoquer celui de la nouvelle « Le fils du concierge » , le tenancier d’une rôtisserie, un voisin commerçant, un jeune médecin, et des cafés, des devantures de boutiques qui clignotent dans la nuit, de ruelles en ruelles, des murs criblés de balles, des ruines, des appartements d’un autre âge, des êtres vivants et des fantômes…Et cette évocation est chargée de mythes qui jouxtent le réel, dont celui récurrent de l’Enfer, avec la vision de la « fête » dans la nuit étrange de 44, cristallisée autour du gardien de Péristéri et la danse ensorcelante et sauvage du Rébétiko, la femme au portable à la voix venue des profondeurs de l’Achéron, et la fournaise caniculaire qui préside à la mort du frère. Et Mènis nous livre en même temps, au cœur vibrant et déchiré d’Athènes, son portrait à 13, 38 et 56 ans, autoportrait plus exactement , reflété dans des éclats de miroirs dans lesquels nous suivons son éveil politique grâce à la lecture initiatique de Gorki dans la bibliothèque familiale et sa découverte du peuple, sa formation d’écrivain, son amitié avec Kostas Takhtsis et la rencontre d’un mythe, Nikos Kavvadias .
Un livre qu’on lit passionnément, captés par les résonances entre les nouvelles et un rythme effréné.
Geneviève Moreau-Bucherie
Merci à Nikos Graikos et Phonie-graphie pour cette découverte, sur ce lien :
et au service de presse des éditions le Soupirail, en la personne d’Emmanuelle Moysan, qui est passée faire un tour sur ce blog . Voir sur ce lien :
Amorce : « Le barbier de notre quartier agita, c’était de mauvais augure, sa paire de ciseaux au-dessus des cheveux de mon père qui avaient commencé à s’éclaircir imperceptiblement et à grisonner. »Vos pattes ont besoin d’être raccourcies un poil, monsieur Adonis, et votre moustache a besoin d’un coup de ciseau. Mais vous devriez vous dépêcher. »
Se dépêcher, pour quelle raison ? Mon père regarda le barbier d’un air étonné.
« A Noël, et il se pencha à l’oreille de mon père, il ne faut pas qu’ils vous trouvent ici, dans le quartier. »
LE BEAU CAPITAINE ( roman), Quidam éditeur, traduit par Michel Volkovitch.
« Le Beau capitaine », Ménis Koumandaréas,
Un roman de cendres.
« Pourquoi la hiérarchie militaire s’acharne-t-elle à refuser son avancement à ce jeune officier réduit à déposer plusieurs requêtes auprès du Conseil d’Etat ? »
Le vieux conseiller chargé de sa défense est fasciné par la beauté et le mystère du jeune capitaine et va être amené dans son enquête à pénétrer dans des zones d’ombre troublantes.
Ce roman de Mènis Koumandarèas, nous entraîne dans une double histoire qui superpose le destin de deux êtres perdus vivant ici une histoire d’amour insolite, inavouée et poignante, et celui de la Grèce des années 60, années noires qui aboutissent à la dictature des Colonels. Mais au-delà du réalisme, ce roman de cendres dont le titre pourrait être le vieux Conseiller et le beau Capitaine est aussi une fable amère et ténébreuse, construite comme une sonate à l’écriture simple et subtile, et classe son auteur parmi les grands classiques de la littérature grecque. Geneviève Moreau-Bucherie ( pour la librairie des Saisons)
Voir sur ce lien :Ménis Koumandaréas
Amorce : « A mesure que le temps passe et que mes visites au conseiller d’Etat se font rares, il reste une impression de fin de journée d’hiver protégé du froid et de la pluie, dans une pièce pleine de diplômes encadrés, de photographies, de bibelots, de fauteuils de cuir, et un goût âcre de thé au citron. Plutôt qu’un salon athénien, on dirait le cabinet d’archives d’un juge, où s’entassent les histoires d’une carrière passée : hommes, femmes, familles, métiers, des affaires à l’infini qui tourbillonnent dans un ultime rayon de soleil. Elles m’attirent, ces histoires, et elles me terrifient… »
LA FEMME DU METRO (roman). Traduction de Michel Volkovitch, Quidam éditeur.
« La Femme du métro » de Ménis Koumandaréas,
Beauté de la jeunesse, hantise du vieillissement…
La Femme du métro, de Mènis Koumandarèas et traduit par Michel Volkovitch, est un roman d’une grande force comme La Verrerie ou Le Beau Capitaine récemment traduit en français.
A la fin de l’hiver dans les années 70 à Athènes, une femme mariée de quarante ans et un étudiant de vingt ans se retrouvent tous les soirs dans le même métro. De ces rencontres fugaces naît un amour impossible. L’histoire est toute simple en apparence mais Koumandarèas y déploie ses thèmes de prédilection : beauté de la jeunesse, hantise du vieillissement, vies gâchées, mélancolie, amertume, thèmes que l’on retrouve dans les romans de Scott Fitzgerald qu’il a lui-même traduits. Ce portrait de femme est inoubliable. ( Note de l’éditeur)
Amorce : « Ils se retrouvaient tous les soirs à huit heures. Il montait à Thissio, elle à Monastiraki. Le jeune homme portait un pantalon de velours côtelé, un pull ras du cou, ses cheveux longs librement rejetés en arrière.Dans une main il tenait son paquet de cigarettes, dans l’autre des feuilles dans un classeur. Il prenait la même place, en coin, près de la fenêtre, dans le sens contraire de la marche, l’oeil fixé sur les portes coulissantes. Dans quelques minutes, le temps que la rame arrive à Monastiraki, c’est là qu’elle apparaîtrait »….
LA VERRERIE (roman) La Verrerie » traduit du grec par Marcel Durand
Éditions Le Serpent à plumes, collection Motifs.
La Verrerie, de Mènis Koumandarèas
Drôle, tendre, lyrique et poétique.
Le génie d’un roman est parfois mystérieux. Est-ce l’écriture de son auteur, son thème, la richesse des personnages Il y a de tout cela assurément dans ce livre précieux, La Verrerie. L’apparente modestie du sujet et de ses protagonistes ne rend que plus fascinant le processus du roman. Le portrait de Bèba, cette femme qui se retrouve en charge d’une verrerie artisanale, affligée d’un mari dépressif et de deux vendeurs improductifs – sortes de Bouvard et Pécuchet de la banlieue athénienne -, la force et la résistance qu’elle opposera aux contrariétés de la vie, à ses chutes, sont autant de lignes qui aboutissent
un petit chef-d’œoeuvre à lire absolument. ( Note de l’éditeur)
Amorce : » Le samedi soir, Bèba Tandès descendait la rue Pirèos avec toutes ses factures et ses reçus. Elle n’avait pas le moral et se sentait fatiguée. Elle aurait préféré marcher les bras ballants comme un homme. Depuis qu’elle avait hérité du magasin de son père et qu’elle avait décidé e se marier à quelqu’un qui serait aussi son associé, elle avait perdu sa démarche de jeune fille, sa poitrine s’était alourdie et ses cheveux étaient devenus ternes »…
LE FILS DU CONCIERGE( Nouvelle). Traduction de Nicole Le Bris, Esperluète éditions.
« Le Fils du concierge » de Mènis Koumandaréas,
Une fable sur la vieillesse, le temps et la mort
La nouvelle de Ménis Koumandaréas s’organise autour d’incidents survenus dans le salon de coiffure d’Evripidis (Euripide) et des histoires qu’il raconte à ses clients.
La mort plane autour du jeune Zissis, le fils d’un concierge des environs. Mais est-il bien celui qu’il prétend être ? et qui est ce vieil homme qui apparaît et qui affirme être son père alors que son propre fils s’est tué dans un accident de moto ? de quel drame le concierge est-il le témoin ?… Toute la tension du récit est là, dans ce huis clos absurde.
Cette fable nous renvoie à la vanité des choses d’ici-bas.
Les dessins de Michel Barzin, avec leur fausse légèreté, accentuent ce tragique et entrent en résonance avec le destin du Concierge, de Ménis Koumadaréas et de la Grèce actuelle. ( Note de l’éditeur)
Amorce : « C’était un jour comme aujourd’hui, avec ce même vent du nord sec à vous couper le souffle, autour de midi. Le client dont je m’occupais était un gamin de dix-sept ans, un garçon du voisinage. Je le coiffais depuis ses quatorze ans ; mais tout d’un coup les mois d’avant il s’était mis à me demander une « iroquoise ». Pas vraiment ma spécialité, mais je m’étais exécuté en faisant taire mon irritation. Ses cheveux c’était son affaire ; le client a toujours raison. Il s’appelait Zissis ; c’était le fils d’un concierge du voisinage »…
Ce que dit de lui un de ses traducteurs, Michel Volkovitch.
On le présente parfois comme un écrivain réaliste, et ce n’est pas faux », note son traducteur Michel Volkovitch. « Ses livres sont ceux d’un témoin attentif qui s’inscrit dans la réalité contemporaine. Mais en même temps, il est le contraire d’un réaliste. Tout chez lui vous glisse entre les doigts à force d’ambiguïtés, de mystères, de demi-mots. Sa prose paraît simple, lisse, classique ; elle s’avère complexe et profondément musicale, dans la construction d’ensemble comme dans le rythme et les couleurs de chaque phrase ». Au Monde, Michel Volkovitch dit « la chance » qu’il a eue de traduire ce qu’il considère comme « deux très grands livres », La Femme du métro et Le Beau capitaine. Heureusement dit-il, « il en reste quelques autres à traduire… »